Les consommateurs avaient renoué avec leur habitude de dépenser avec entrain, fin mai. Mais ils boudent les magasins qui soldent leurs collections d’été depuis le 30 juin.
Les Français ont retrouvé le chemin du grand écran. La Fête du cinéma, qui s’est déroulée du 30 juin au 4 juillet, a attiré 3,5 millions de personnes dans les salles obscures. « Une fréquentation d’un très haut niveau» qui prouve combien le septième art est « le premier loisir culturel des Français, le plus populaire et le plus fédérateur sur l’ensemble du territoire », estime la Fédération nationale des cinémas français. Depuis le 19 mai, date de la réouverture des restaurants, les Français goûtent à nouveau, aussi, au plaisir de se faire servir à table.
Et ils préparent activement leurs congés d’été. Les campings feront le plein. L’euphorie gagne aussi la Savoie et Haute-Savoie, les hôteliers prévoient de vendre 17 % de nuitées de plus qu’en 2020. Au sein des villages VVF, le chiffre d’affaires de juillet et d’août promet d’afficher une hausse de 63 % par rapport à l’été dernier. La plupart des particuliers promettent de délier les cordons de leur bourse : ils ne sont plus que 33 % à envisager de réduire leur budget voyage ou leur durée de séjour, soit une baisse significative par rapport à l’an dernier, selon l’agence de promotion touristique Atout France.

« La vie a repris »
Le shopping a aussi eu leurs faveurs, dès la réouverture des centres commerciaux et des magasins non alimentaires. Après – pour certains commerçants – trois mois de fermeture imposée pour lutter contre la propagation du coronavirus, « ce fut un très bon redémarrage », reconnaît Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, fédération de distributeurs dans le secteur de l’équipement de la personne. « La vie a repris », image Marcel Nakam, PDG de Jonak, dont l’enseigne a renoué avec une croissance « à deux chiffres » grâce aux ventes de sandales et de sabots.
Les chaînes spécialisées de type Zara, H&M ou Kiabi ont vu, elles, leur activité bondir de 31,3 % en mai, en moyenne, selon l’Institut français de la mode. Yves Rocher a aussi vu les femmes « revenir en masse » dans ses 700 magasins en France, selon Alexandre Rubin, directeur général de l’enseigne de produits de beauté.
Le ministère des finances se félicite de ces performances . Et, à dessein, depuis fin mai, les services de Bruno Le Maire relaient le « niveau élevé » de la consommation que démontrent les « montants payés par carte bancaire » : + 18 % au cours de la semaine du 14 au 20 juin, par rapport à la même semaine de 2019. Les ventes de biens manufacturés se sont emballées, selon Bercy : + 45 % pour les biens électroniques, électriques et informatiques par rapport à 2019 ou « près de 30 % » d’augmentation pour les ventes d’habillement et de textile, sur cette troisième semaine de juin.
La France devrait afficher une croissance de 6 % cette année, après un plongeon de plus de 8 % en 2020.
De quoi alimenter le moteur de la reprise : la France devrait afficher une croissance de 6 % cette année, après un plongeon de plus de 8 % en 2020, et ce, en grande partie grâce aux dépenses des ménages. « C’est la consommation, qui a été bridée pendant les mois de confinements, qui contribue à faire rebondir l’ensemble », précise Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee, qui fait l’hypothèse d’un retour du taux d’épargne des ménages à son niveau d’avant-crise en fin d’année.
Les Francais auraient renoué avec leurs habitudes de consommation avec d’autant plus d’entrain que les inquiétudes sur la hausse du chômage se sont largement dissipées : l’indicateur de confiance des ménages était, en mai, à son meilleur niveau depuis mars 2020. Autre indice du désir de consommer : l’indicateur selon lequel les Français estiment qu’ils ont la possibilité d’effectuer des « achats importants » était, lui, remonté à son niveau de début 2018.
Paradoxalement, les soldes d’été ne reflètent pas cette humeur dépensière. Dans le secteur de l’habillement, le bilan des quatre premiers jours de soldes – période de quatre semaines ouverte au 30 juin – n’est pas enthousiasmant : l’affluence dans les magasins était en baisse de 17,5 %, selon l’observatoire de la fréquentation des commerces Stackr-Procos. Et les jours suivants ont été à l’avenant. L’Alliance du commerce, fédération de commerçants, déplore une fréquentation en recul de 26,5 % sur la première semaine des soldes d’été en 2021 par rapport à 2019. Les ventes ont dévissé de 11,6 % sur la période, selon Retail, panéliste partenaire de l’Alliance du commerce. « On est en pleine accalmie », juge M. Nakam. Chez Yves Rocher, les soldes, « c’est correct, sans plus », juge aussi M. Rubin.
« Réalisme sans pessimisme »
« Les Français ont bel et bien envie de consommer », décrypte Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques. Car, « après les confinements et les mesures sanitaires, ils ont peut-être davantage envie de s’offrir un bon week-end, d’aller au restaurant ou au spectacle que d’acheter des biens matériels », juge-t-il. L’expert pointe aussi que les ventes se font de plus en plus en ligne, au détriment des magasins physiques – qui ne voient plus affluer les clients en quête de bonnes affaires lors des soldes.
Le secteur automobile est également très déçu du bilan du mois de juin. Avec moins de 200 000 immatriculations de voitures neuves, la fièvre acheteuse qui avait marqué l’été 2020 est retombée. Le marché est en recul de 15 % par rapport à juin 2020 (mois de déconfinement porté par un plan de soutien à la filière automobile) et affiche – 14 % par rapport à juin 2019. Les ventes sont d’ores et déjà en recul de 21 % au premier semestre, par rapport à 2019.
Qu’en sera-t-il alors du scenario « années folles » qu’évoquait Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal , lors de la présentation de ses résultats annuels, en février 2021 ? La France pourrait-elle renouer avec une croissance débridée analogue à celle qui a suivi la première guerre mondiale ? Il faut « attendre », répond le directeur général d’Yves Rocher en France. Tous les commerçants se donnent rendez-vous en septembre pour se prononcer sur l’état de santé de la consommation tricolore. Le risque d’une quatrième vague de contagion les invite à la « prudence », au « réalisme sans pessimisme », selon M. Rubin, « malgré l’envie d’y croire » que souligne M. Nakam, le dirigeant des chaussures Jonak.
Journaliste : Juliette Garnier / Béatrice Madeline